Procédé plasma de dépôt

1.1 Approche phénoménologique

Introduction et principe

Le principe général de la technique est celui du dépôt chimique en phase vapeur, la CVD (Chemical Vapour Deposition) : un précurseur gazeux est dissocié en espèces réactives transportées jusqu’au substrat et adsorbées à sa surface. Ces espèces adsorbées peuvent réagir entre elles ou avec les espèces présentes dans la phase gazeuse, ce qui conduit à la formation d’un produit solide sous forme d’un film mince [1]. Les énergies de dissociation des espèces et d’activation des réactions sont obtenues par apport thermique. En polymérisation plasma, le chauffage est au moins partiellement remplacé par l’utilisation d’un plasma [2] froid [3] de décharge [4] qui permet, entre autres, des traitements à la température ambiante. On parle alors de PECVD pour Plasma Enhanced Chemical Vapour Deposition, dépôt chimique en phase vapeur assisté par plasma.

En PECVD, on utilise des plasmas dits « froids » car fortement hors d’équilibre thermodynamique. Ils sont obtenus par une décharge électrique ou par une induction magnétique dans un gaz à faible pression (généralement inférieure à 100 Pa). Ce sont des gaz partiellement ionisés contenant des ions, des neutres et des électrons [5]. Dans ces plasmas, le champ électrique confère aux électrons une énergie cinétique très élevée, de 1 à 10 eV. Les électrons entrent en collision avec les atomes et les molécules présents dans la phase
gazeuse. Ces collisions sont de toute première importance et sont la singulière caractéristique de l’état plasma obtenu à partir d’un champ électrique. On peut les classer en cinq grandes catégories : les collisions élastiques (transfert d’énergie cinétique), les collisions inélastiques (changement d’état énergétique, passage à un état excité), les collisions super élastiques (transfert d’énergie interne en énergie cinétique, processus inverse de la collision inélastique), les collisions ionisantes (collision inélastique aboutissant à l’arrachement d’un électron, création d’un ion) et les collisions réactives (changement de nature chimique, dissociation ou recombinaison). Les ions et les neutres ont une énergie cinétique beaucoup plus faible que celle des électrons, environ 0,5 et 0,1 eV respectivement, ce qui est une autre caractéristique des plasmas froids.

De cette très brève présentation des plasmas froids, ressort le premier avantage majeur du procédé de dépôt assisté par plasma. Les nombreuses collisions entre neutres et électrons générent une grande quantité et variété d’espèces réactives et de radicaux libres [6]. On parle alors de plasmas réactifs [7]. Ainsi, en introduisant dans le plasma des molécules contenant les éléments à déposer sur le substrat, le système disposera, à température ambiante, d’une grande variété d’espèces réactives et de radicaux hors d’équilibre thermodynamique. Par ce procédé, il est donc possible de réaliser des traitements sur tout type de substrats tout en disposant d’un grand nombre de chemins réactionnels possibles et inédits [8]. Prenons pour exemple le cas d’une espèce diatomique A_2 excitée par une collision inélastique avec un électron (réaction 1) et d’une espèce moléculaire MX_x dissociée par une collision réactive avec un autre électron (réaction 2). Il est alors envisageable que A^*_2 et MX^\bullet_{x-1} subissent une collision réactive pour former AMX_{x-1} (réaction 3).

A_2 \stackrel{e^-}{\longrightarrow} A^*_2 (1)
MX_x \stackrel{e^-}{\longrightarrow} MX^\bullet_{x-1}+X^\bullet (2)
A^*_2 + MX^\bullet_{x-1} \longrightarrow AMX_{x-1} + A^\bullet (3)

Cette nouvelle espèce pourra bien sûr subir à son tour d’autres collisions et d’autres réactions que ce soit dans la phase gazeuse ou sur une surface. La première grande complexité vient donc du nombre de chemins réactionnels possibles qui sont démultipliés par la variété et
la taille des molécules qu’il est possible d’introduire dans le plasma. Le système propose donc de très nombreux schémas différents pour les mécanismes conduisant à la formation d’un produit solide [9] et fait intervenir la chimie des ions, des neutres et des radicaux en phase gazeuse (phase homogène) et condensée (phase hétérogène). Ces mécanismes dépendront bien évidemment de la nature des particules constitutives du plasma mais aussi et surtout des paramètres opérationnels agissant sur le plasma [10]. Ceci est le second grand avantage du dépôt assisté par plasma : pour un procédé donné, il est possible de modifier et contrôler les différents chemins réactionnels en agissant sur les paramètres opérationnels de ce procédé. Ces actions auront pour conséquence d’aboutir à des mécanismes de croissance
du produit solide différents et donc à des propriétés du matériau différentes. Ces paramètres opérationnels incluent :

- la fréquence du champ électrique
- le potentiel et l’intensité (c.-à-d. la puissance) du champ électrique
- le potentiel (le cas échéant) des électrodes
- la géométrie du réacteur
- la nature des gaz employés et leurs proportions relatives
- le débit gazeux
- la pression totale dans le réacteur
- la température

Tout l’art de l’homme du métier sera de contrôler les chemins réactionnels par la maîtrise de ces paramètres en vue de l’obtention contrôlée d’un matériau en film mince aux propriétés adaptées au besoin.

Pour qu’il y ait polymérisation, un précurseur contenant des atomes susceptibles de former des chaînes comme le carbone, le silicium ou le soufre est nécessaire. La polymérisation plasma est très différente de la polymérisation conventionnelle. Une polymérisation est la réaction de monomères activés sur eux-mêmes conduisant à la croissance d’une longue chaîne qui se répète, macromolécules filiformes orientées ou non. Lors d’une polymérisation plasma, il ne s’agit plus vraiment de monomères, cette notion s’arrêtant au précurseur. En effet, toutes les espèces créées dans le plasma participent à la réaction. Il s’agit de radicaux activés qui vont réagir entre eux à la surface du substrat ou dans le plasma principalement par des réactions de terminaison. Ainsi, on parle de polymérisation plasma et de polymérisation induite par plasma dans la mesure où le plasma génére des radicaux libres et des molécules contenant, par exemple, des liaisons carbone insaturées. La structure du monomère (précurseur) n’est donc pas conservée et le produit obtenu est extrêmement désordonné et très fortement réticulé. Les termes « monomère », « polymère » et « polymérisation » sont donc ici redéfinis pour ce type de procédé. Nous verrons cependant au cours de l’étude que nous arriverons aux frontières de cette approche avec notamment des mélanges à base d’oxygène où l’on retrouve dans certaines conditions un comportement de type polymérisation
plasma qui évolue en fonction des paramètres du procédé vers la croissance de matériaux inorganiques à partir de radicaux dépourvus de tout composé carboné.

Principe de la polymérisation plasma

FIGURE 1 – Schéma de principe de la polymérisation plasma.

La figure 1 présente le fonctionnement général de ces procédés. Les nombreuses collisions entre particules sont à l’origine de la synthèse de radicaux moléculaires ou d’espèces atomiques très réactives. Si ces radicaux moléculaires sont les précurseurs à l’origine de la croissance après adsorption (avec ou sans réaction), on parle de polymérisation induite par plasma. Cependant, la grande réactivité de ces espèces peut les conduire à réagir en phase gazeuse. Si les précurseurs de la croissance sont des composés issus de ces réactions, on parle
alors de polymérisation plasma. Il n’existe pas de limite franche dans la pratique, les régimes co-existent de manière plus ou moins prédominante. En effet, la croissance peut avoir pour origine des composés plus lourds que le précurseur, des oligomères issus de réactions en phase homogène ou des composés moins lourds que le précurseur issus de fragmentation ou de dissociation en phase homogène. Ces derniers peuvent eux aussi subir des réactions
modifiant leur chimie. Enfin, tous ces précurseurs possibles ne sont pas forcément précurseurs de la croissance, cette dernière pouvant être le résultat de réactions hétérogènes, à la surface du substrat, entre ces espèces. On ne traitera pas ici plus en détail les différents aspects des phénomènes mis en jeu (physique et chimie des plasmas, thermodynamique et thermocinétique des réactions en phases homogène et hétérogène, influence des paramètres opérationnels). Ces aspects sont traités dans les excellents ouvrages de synthèse de H. YASUDA [11], H. BIEDERMAN [12] et R. D’AGOSTINO [13]. Pour les aspects phénoménologiques relatifs au cas précis étudié ici, la bibliographie est citée au cours de l’étude.

Les dépôts ainsi obtenus présentent des caractéristiques générales intéressantes : adhésion au substrat généralement élevée, stabilité chimique et mécanique, effet barrière important. De plus, il est très facile d’obtenir des couches à gradient de propriétés chimiques ou physiques en modifiant les paramètres du procédé au cours du cycle de dépôt.


[1K. L. CHOY. Chemical vapour deposition of coatings. Progress in Materials Science, 48, pages 57–170, 2003.

[24ème état de la matière. État à très haute énergie où les atomes sont totalement ou partiellement ionisés.

[3Plasma faiblement ionisé et fortement hors d’équilibre thermodynamique.

[4Obtenu par une décharge électrique.

[5- M. REMY et G. HENRION. Physique des plasmas. Le Vide, 300 (2), pages 496–518, 2001.

- B. HELD. Physique des plasmas froids. Masson, 1994.

- A. M. A. LEONTOVICH. Reviews of plasma physics - 8 volumes. Consultants Bureau, from 1966 to 1974.

- A. SIMON and W. B. THOMPSON. Advances in plasma physics - 6 volumes. Interscience Publishers, from 1968 to 1976.

- J. L. DELCROIX et A. BERS. Physique des plasmas - 2 tomes. EDP Sciences et CNRS Editions, 1994.

[6A. T. BELL. Fundamentals of plasma chemistry. In Techniques and Applications of Plasma Chemistry. Wiley, 1974.

[7F.MASSINES. Plasmas froids. Réactivité en volume et en surface. Intégrations. Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2004.

[8- H. BIEDERMAN and Y. OSADA. Plasma Polymerization Processes, volume 3 of Plasma Technology. Elsevier Science, 1992.

- W. F. LIBBY. Plasma chemistry. Journal of Vaccum Science and Technology, 16 (2), pages 414–417, 1979.

[9H. YASUDA. Plasma Polymerization. Academic Press, Inc., 1985.

[10R. D’AGOSTINO. Plasma Deposition, Treatment, and Etching of Polymers. Academic Press, Inc., 1990.

[11H. YASUDA. Plasma Polymerization. Academic Press, Inc., 1985.

[12H. BIEDERMAN and Y. OSADA. Plasma Polymerization Processes, volume 3 of Plasma Technology. Elsevier Science, 1992.

[13R. D’AGOSTINO. Plasma Deposition, Treatment, and Etching of Polymers. Academic Press, Inc., 1990.

Avertissement

Le contenu de cet article est une reproduction numérique en ligne de la thèse de Mathias Borella soutenue en octobre 2006. Seules les informations délivrées dans l'édition papier du manuscrit font foi, sont valides et vérifiées. En cas de doute, merci de vous y référer.

Cet article a été publié en ligne pour la première fois en Janvier 2009. Il a été passé en revue pour la dernière fois le 22 janvier 2009.

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